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11/01/2024
3 minutes
Droit civil

Vers un renforcement du rôle des associations dans la lutte contre les dérives sectaires ?

Depuis sa création en 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) analyse et documente les risques que représentent les techniques et pressions capables d’installer et d’exploiter chez une personne un état de sujétion. Au fil des années, les mécanismes de manipulation et d’emprise ont considérablement évolué : leurs relais d’influence se sont multipliés, constituant des réseaux de désinformation de plus en plus organisés. Les dérives sectaires ont ainsi augmenté leur portée et se diffusent dans des secteurs d’activité de plus en plus variés (v. JA 2022, n° 669, p. 8).

Face à l’augmentation des saisines de la Miviludes (4 020 saisines en 2021, soit une augmentation de 86 % par rapport à 2015), les pouvoirs publics ont entamé une réflexion pour mieux répondre aux enjeux actuels de la lutte contre les dérives sectaires, formalisée par un projet de loi déposé au Parlement le 15 novembre 2023.

Nouvelles dérives, nouveaux délits

Le projet de loi prévoit principalement la définition d’un nouveau délit, puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, consistant « à placer ou maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique par l’exercice direct de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement, quand cette situation aboutit à une dégradation grave de la santé ou conduit la victime à des agissements qui lui sont gravement préjudiciables ». Il prévoit que la sujétion psychologique ou physique devienne une circonstance aggravante pour plusieurs délits comme les meurtres, actes de torture et de barbarie, violences sur mineurs ou personnes vulnérables et les escroqueries.

Face à la multiplication des dérives dans le secteur des médecines alternatives, le projet de loi prévoit aussi de sanctionner la provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins, ou à l’adoption de pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique exposant les personnes concernées à des risques d’une particulière gravité pour leur santé. Des procédures de signalement aux ordres concernés et de transmission d’information à la justice sont incluses dans le projet de loi.

Enfin, le texte prévoit le renforcement de l’accompagnement des victimes en permettant notamment aux associations agréées par l’État de se constituer partie civile dans les procédures liées aux dérives sectaires, un rôle réservé jusqu’ici aux associations d’utilité publique.

Le Conseil d’État rend un avis mitigé

Saisi pour rendre un avis sur le projet de loi, le Conseil d’État souligne la difficulté à concrétiser un projet législatif efficace au sujet des dérives sectaires, notamment face à l’hétérogénéité des menaces et des pratiques qu’elles recouvrent. Il rappelle à quel point la rédaction d’un nouveau texte sur ce sujet est une question délicate dans sa conciliation avec les droits fondamentaux, notamment la liberté de conscience et d’opinion.

S’il répond favorablement à la formulation de la sujétion et des circonstances aggravantes afférentes, qui lui semble répondre aux exigences légales du principe de légalité des délits et des peines, il n’en va pas de même pour la question de l’influence sur les choix de soins. Sans minimiser la portée du problème, le Conseil d’État estime que de nombreux textes en vigueur et des sanctions ordinales couvrent le spectre des faits visés et que la réponse apportée par le législateur n’est ni nécessaire, ni proportionnée.

Il en va de même de la transmission par la Miviludes d’informations sur les dérives sectaires à la justice : le Conseil d’État estime que cette intervention dans les procédures déroge aux prérogatives de la Miviludes et contrevient au droit à un procès équitable.

Pour autant, les tribunaux pourraient accueillir de nouvelles actions en justice associatives, l’avis du Conseil d’État étant favorable à élargir la constitution de partie civile à des associations « sans préjudice personnel, sous réserve de conditions d’agrément, d’ancienneté et de spécialité des statuts, mais sans conditionnement au critère de la reconnaissance d’utilité publique ».  

Sources