Une victoire pour Alternatiba, du grain à moudre pour les associations
Depuis son entrée en vigueur en 2022, le contrat d’engagement républicain (CER) a fait couler beaucoup d’encre et lever de nombreux boucliers au nom de la défense des libertés associatives. Ce dispositif emblématique de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (JO du 25), dite « loi Séparatisme », pose en effet de nombreuses questions sur le maintien d’une relation équilibrée entre l’État et les associations.
L’association Alternatiba en a fourni une illustration concrète dans l’affaire qui l’oppose au préfet de la Vienne, devenue emblématique de l’opposition du tissu associatif au CER, largement suivie et commentée. Portée devant le tribunal administratif de Poitiers, elle s’enrichit d’un nouvel épisode avec un jugement éclairant sur l’interprétation de l’application du CER.
Rappel des faits
L’association écologiste Alternatiba Poitiers a reçu une subvention de la ville de Poitiers pour l’organisation d’un événement appelé Le Village des alternatives. Le préfet de la Vienne a ordonné à la ville de retirer sa subvention, considérant que la tenue d’un atelier sur la désobéissance civile allait à l’encontre du contrat d’engagement républicain.
Cet exemple cristallise le problème des marges d’interprétation des engagements qui figurent dans le contrat d’engagement républicain, dans lequel n’est pas citée précisément la désobéissance civile. De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une ingérence de l’État et une décision vécue comme arbitraire. Au premier rang de cette opposition, la ville de Poitiers elle-même, qui a refusé de retirer sa subvention. Le préfet a donc saisi le tribunal administratif pour statuer. Un collectif de 14 associations s’est formé pour soutenir Alternatiba et la ville de Poitiers dans cette procédure.
Les conditions d’un retrait de subvention
Par un jugement du 30 novembre 2023, le tribunal administratif de Poitiers a estimé que le maintien des subventions à Alternatiba était justifié, rejetant ainsi les déférés du préfet de la Vienne.
Cette victoire pour Alternatiba précise par ailleurs certaines zones de flou dans la formulation du CER, et notamment de son engagement n° 1, énoncé en ces termes dans le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 : « Le respect des lois de la République s’impose aux associations et aux fondations, qui ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. » Le tribunal administratif estime ici que cet engagement s’entend comme un ensemble et que pour justifier un retrait de subvention à ce titre, l’association « doit avoir entrepris ou incité à entreprendre des actions, non seulement “manifestement contraires à la loi”, mais également “violentes ou susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public” ». La subvention doit également être retirée si l’association poursuit un objet ou exerce une activité illicite ». Les conditions ne sont donc pas réunies pour retirer la subvention à Alternatiba, dont l’atelier n’a entraîné aucune violence ni menace directe pour l’ordre public. Cette décision marque donc un jalon important dans l’interprétation et l’application du CER, qui ne manquera pas de donner du grain à moudre pour les débats qui l’entourent, illustrant un droit en vigueur qui place le juge en dernier rempart contre les atteintes à la liberté d’association.