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20/07/2023
3 minutes
Droit public

Pourquoi l’agrément d’Anticor a-t-il été annulé ?

C’est peu dire que le jugement du tribunal administratif de Paris ayant annulé l’arrêté ministériel qui a renouvelé l’agrément pour l’exercice des droits de la partie civile de l’association anticorruption Anticor a fait parler de lui. Il n’est pas question, dans les lignes qui suivent, de procéder à une lecture « politique » de cette décision ; certains l’ont déjà fait, tel le professeur Paul Cassia, estimant qu’elle s’inscrit dans un « mouvement régressif […] délibérément organisé par l’exécutif » (Le Monde, 24 juin 2023). Nous resterons uniquement sur le terrain juridique.

Intérêt à agir

Il n’est pas inutile de revenir sur le contexte, somme toute singulier, ayant débouché sur le jugement d’annulation. Tout d’abord, la demande d’annulation n’est pas formellement dirigée contre l’association elle-même, mais contre le Premier ministre, en ce que c’est lui qui a pris l’arrêté de renouvellement de l’agrément. Les auteurs de la demande, ensuite, sont, pour l’un, membre actuel de l’association, pour l’autre, ancien membre de celle-ci. Se posait alors une question de reconnaissance de l’intérêt à agir, notamment en ce qui concerne le second demandeur, lequel avait au passage alerté par le passé le ministre de la Justice des prétendues « dérives de l’association ». Or, pour le tribunal, « il doit être regardé comme ayant un intérêt personnel suffisamment direct et certain à contester la décision d’agrément attaquée », dont la délivrance est subordonnée à l’absence de dysfonctionnements tels que ceux qu’il avait dénoncés.

Erreur de droit

Autre singularité, le Premier ministre de l’époque, Jean Castex, avait pris un arrêté de renouvellement de l’agrément, tout en sachant pertinemment que l’association ne remplissait pas les conditions requises pour l’obtenir, posées par l’article 1er du décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 relatif aux conditions d’agrément des associations de lutte contre la corruption en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile – en particulier son 4o qui impose le « caractère désintéressé et indépendant [des] activités [de l’association], apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources ». Il s’en est, en effet, remis aux engagements pris par l’association de remédier à cette situation. Il est, à cet égard, relevé dans le jugement que « l’association avait, dans le cadre de la procédure d’instruction de la demande de renouvellement, manifesté l’intention de se doter d’un commissaire aux comptes pour accroître la transparence de son fonctionnement financier et de procéder à une refonte de ses statuts et de son règlement intérieur ». En d’autres termes, il a apprécié non pas à la date de la demande de renouvellement, mais de manière prospective, les conditions légales de l’agrément, de telle sorte que sa décision, sans doute opportune, pour ne pas dire nécessaire sur le plan politique – un refus de renouvellement de l’agrément aurait constitué un petit séisme et manifesté une certaine complaisance du gouvernement pour la corruption –, était juridiquement fragile. Il n’est, de ce fait, guère étonnant que les juges aient considéré que le Premier ministre a commis une « erreur de droit » en fondant sa décision de renouvellement sur « la circonstance que l’association se serait engagée à prendre des mesures correctives visant à se mettre en conformité avec ses obligations postérieurement à la date de la décision d’agrément ».

Rétroactivité de l’annulation

Last but not least, le tribunal rejette la demande de l’association visant à obtenir la modulation dans le temps des effets de l’annulation du renouvellement de l’agrément afin de ne pas fragiliser la sécurité juridique des procédures dans lesquelles elle s’est constituée partie civile. Non, l’annulation est prononcée, mais avec effet rétroactif. La conséquence est la suivante : les constitutions de partie civile postérieures à la date de l’agrément attaqué sont caduques, mais elles sont sans effet sur l’action publique, qui perdure lorsqu’elle a été déclenchée. Le salut résiderait-il dans une nouvelle décision, prise à très bref délai par la Première ministre, de renouvellement de l’agrément ? Ce n’est pas certain. Pour que cette décision soit cette fois inattaquable, il faudrait que l’association remplisse désormais les conditions de l’agrément, ce qui suppose qu’elle ait tenu ses engagements pris envers l’ancien Premier ministre – concrètement, qu’elle ait fait des progrès en matière de transparence…

Sources