
Mineur non accompagné et défaut de prise en charge
Un migrant, ressortissant guinéen, s’est déclaré mineur en situation d’isolement à son arrivée sur le territoire français. Il se plaint de ne pas avoir bénéficié, en raison de la contestation de sa minorité par les autorités françaises, de la prise en charge prévue par les dispositions liées à la protection de l’enfance en droit français. Les mineurs étrangers non accompagnés sont, en effet, pris en charge en France dans le cadre de la protection de l’enfance, dont peut bénéficier tout mineur se trouvant sur le territoire national. La politique de protection de l’enfance est définie à l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, aux termes duquel « la protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits […] ». Ayant épuisé les voies de recours interne, le requérant se tourne alors vers la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Violation du droit au respect de la vie privée
En premier lieu, le requérant se plaint, d’une part, de ses conditions de vie lors de la période pendant laquelle il n’a pas été pris en charge par les autorités internes avant sa majorité et, d’autre part, de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour formuler ses griefs sur le terrain de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). La Cour estime ce grief manifestement mal fondé et le rejette. Il soutient, en deuxième lieu, que l’absence de protection ayant découlé du refus des autorités internes de lui reconnaître la qualité de mineur non accompagné doit s’analyser en une violation de son droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Conv. EDH. La Cour considère que cet article trouve ici à s’appliquer. Elle estime que, malgré l’existence d’un cadre juridique interne comportant en principe les garanties procédurales minimales requises, les autorités compétentes n’ont pas, en l’espèce, agi avec la diligence raisonnable et ont manqué à leur obligation positive de garantir le droit du requérant au respect de sa vie privée. Au surplus, selon elle, le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8, s’étend à l’âge d’une personne. (v. déjà en ce sens : CEDH 21 juil. 2022, req. no 5797/17). Partant, il y a bien eu violation de cet article 8. Le requérant soutient, en troisième et dernier lieu, avoir été privé d’un recours effectif à l’encontre de la décision de refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE), en raison, notamment, de l’absence de voie de recours à caractère suspensif et de l’appréciation des preuves qu’il avait fournies pour démontrer sa minorité. Il invoque à cet effet l’article 13 de la Conv. EDH, texte qui protège le droit à un recours effectif devant une instance nationale, combiné à l’article 8. Son recours est rejeté sur ce point, la CEDH estimant que l’intéressé, qui, en droit, avait à disposition des recours susceptibles de redresser la violation alléguée de l’article 8 de la Convention, doit être regardé comme ayant bénéficié, en pratique, au vu des circonstances de l’espèce, de recours effectifs – il fut entendu devant le juge des enfants, en particulier. Seul l’article 8 de la Conv. EDH a donc été violé par la France dans cette affaire.
Condamnation de la France
La CEDH condamne donc la France à verser au requérant la somme de 5 000 euros pour dommage moral. Aux dires du requérant, ce dommage résulte du fait qu’il a perdu une chance d’être pris en charge comme mineur, tant en ce qui concerne l’hébergement que l’assistance éducative. Il indique que son préjudice résulte également des conditions dans lesquelles il a dû vivre en France en tant que mineur pendant la crise sanitaire, sans hébergement, dans une situation d’isolement, sans ressources et sans pouvoir exercer ses besoins les plus fondamentaux. Il se plaint, enfin, de la circonstance que les autorités internes lui aient imputé d’avoir menti sur son âge et fait usage de documents frauduleux.
Xavier Delpech