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05/10/2023
3 minutes
Droits fondamentaux

Liberté d’association : la Russie condamnée par la CEDH

Il est permis, de prime abord, d’être surpris, que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) continue à rendre des arrêts concernant la Russie dans la mesure où cette dernière a cessé, le 16 septembre 2022, d’être partie à la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Cela s’explique par le fait que la CEDH reste compétente pour connaître des affaires qui la concernent et survenues avant cette date. D’où cet arrêt, qui concernait une affaire survenue en 2023, rendu à propos de la violation des droits de militants de l’ONG Greenpeace après une manifestation sur une plateforme russe de forage pétrolier située en mer Arctique.

Rappel des faits

Au cours d’une manifestation à laquelle avaient pris part une trentaine de militants de Greenpeace de différentes nationalités, des canots avaient été mis à la mer depuis le navire Arctic Sunrise affrété par l’ONG, battant pavillon néerlandais, puis deux des militants avaient escaladé la plateforme. Par la suite, les garde-côtes russes avaient intercepté le navire et l’avaient remorqué, avec les militants à son bord, jusqu’au port de Mourmansk en Russie. À leur arrivée à Mourmansk, les militants avaient été arrêtés et leur placement en détention provisoire ordonné par le tribunal de district pour piraterie. L’accusation a par la suite été modifiée par les autorités d’enquête en une accusation de vandalisme, puis les manifestants ont bénéficié d’une amnistie clôturant la procédure dirigée contre eux.

Violation du droit à la liberté et à la sûreté et de la liberté d’expression

L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais c’est sans compter l’opiniâtreté de l’ONG et de ses militants.  Les requérants ont, en effet, introduit une requête contre la Russie devant la CEDH en 2014, dans laquelle, invoquant à la fois l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et l’article 10 (liberté d’expression) de la Conv. EDH, ils ont soutenu que leur arrestation et leur placement en détention provisoire étaient arbitraires et illégaux, et que les autorités russes avaient commis une ingérence illégale dans l’exercice par eux de leur liberté d’expression. Ils ont pleinement obtenu gain de cause.

La CEDH a d’abord considéré qu’elle était compétente pour examiner la recevabilité de la demande et le fond de l’affaire – ce que contestait en défense la Russie. En particulier, même si les militants ont reçu une réparation à la suite d’un accord à l’amiable conclu entre les Pays-Bas et la Russie concernant l’incident – après une procédure d’arbitrage menée en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer –, la Russie n’a pas reconnu qu’il avait été porté atteinte aux droits des requérants, et ceux-ci peuvent donc toujours se prétendre victimes d’une violation de la Conv. EDH.

Ensuite, examinant la requête sur le fond, la Cour juge que la période durant laquelle l’Arctic Sunrise s’est trouvé sous contrôle russe, jusqu’à son arrivée à Mourmansk, s’analyse en une privation de liberté pour les militants. Cette période de détention n’a pas du tout été consignée ; en conséquence, il s’agit d’une violation grave des droits garantis aux requérants par l’article 5. Même si la détention des militants par la suite, jusqu’à leur libération deux mois plus tard, a été quant à elle officiellement consignée, elle était arbitraire, eu égard à une confusion quant à la nature des accusations portées contre les intéressés et aux motifs de leur détention.

Enfin, la Cour considère que la détention des requérants s’analyse en une ingérence dans l’exercice par eux de leur liberté d’exprimer leur opinion sur un sujet présentant un intérêt important relativement à l’environnement et que cette ingérence n’était pas prévue par le droit national. Partant, il y a également eu violation, par la Russie, de l’article 10 de la Conv. EDH.

Sources