Libéralités : le préfet sur tous les fronts
Par testament authentique était légué un immeuble à une association agissant dans le domaine de la bienfaisance. À la suite du décès de l’auteur, le préfet fut saisi afin d’user de son droit d’opposition. Il n’en fit pas usage, mais sa décision fut annulée par jugement du tribunal administratif. Après réexamen de la situation, il maintint sa position. Sa décision fut annulée à raison de l’objet de l’association et il lui fut enjoint de faire usage de son droit d’opposition. Le Conseil d’État décida de régler l’affaire au fond.
La présente décision interroge le pouvoir et le rôle du préfet en cas de libéralité consentie à une association.
Un arrêt d’appel confirmé en cassation
L’arrêt d’appel enjoignit au préfet de faire usage de son droit d’opposition et rappela qu’il devait confronter le legs aux statuts de l’association pour déterminer si elle avait la capacité de le recevoir.
Pour mémoire, les associations sont régies par un principe de spécialité qui les cantonne à des actes utiles à leur objet ainsi qu’à leurs actes accessoires.
Elles ne disposent que d’une « petite » capacité juridique et ne peuvent recevoir des libéralités et détenir des immeubles que dans l’hypothèse où elles démontrent une période de trois ans d’existence et qu’elles répondent aux exigences de l’article 200 du code général des impôts (CGI), c’est-à-dire qu’elles sont d’intérêt général (L. du 1er juill. 1901, art. 6). Il sera alors possible de réaliser une libéralité à leur profit sous réserve du respect des dispositions de l’article 910 du code civil. L’acte sera notifié au préfet qui pourra exercer un droit d’opposition s’il constate que le légataire n’est pas apte à recevoir une libéralité ou que l’objet statutaire ne permet pas à l’association d’utiliser celle-ci.
Faisant application de cette disposition, la cour d’appel retiendra qu’il n’entrait pas dans l’objet de l’association de recevoir un legs grevé de charges obligeant cette dernière à mettre à disposition de manière illimitée et gratuite au Front national les immeubles contenus dans le legs. Le Conseil d’État entérine le raisonnement de la cour d’appel qu’il complète en affirmant que les charges grevant le legs faisaient obstacle à ce que cette association retire des biens un avantage économique suffisant. Il ne sera rien dit de plus sur le fait que le préfet soit enjoint de faire usage de sa « faculté » d’opposition (CJA, art. L. 911-1).
La question du rôle et des pouvoirs préfet
Comment comprendre une telle position du Conseil d’État ? Il est possible d’imaginer que cet arrêt met en lumière une condition sous-jacente de l’article 910 du code civil, mais cette lecture de l’arrêt ne nous semble pas devoir être retenue. À notre sens, la question de l’appréciation de l’utilité économique renvoie à la seule appréciation de l’objet des statuts.
En ce qu’une personne morale ne peut avoir pour objet – fût-ce implicitement – d’œuvrer à son encontre, elle ne saurait accepter un legs grevé de charges telles qu’il nuirait à son existence et à sa faculté de réaliser son objet. L’argument se veut dès lors compréhensible mais critiquable en ce que cela ôte à l’association la possibilité de se prononcer elle-même sur les actes qui lui sont utiles. Par ailleurs, cette rédaction semble donner au préfet un pouvoir d’appréciation élargi dépassant la lettre du texte.
L’arrêt semble par ailleurs induire que le préfet aurait eu l’obligation de former opposition dès lors que le constat aurait été fait que les conditions prévues par les articles 6 de la loi du 1er juillet 1901 et 910 du code civil n’étaient pas remplies. Il semble qu’une telle interprétation méconnaît la lettre de l’article 910 qui n’octroie qu’une faculté discrétionnaire au préfet d’agir, laquelle n’est d’ailleurs qualifiée que de « droit » par le décret d’application (décr. no 2007-807 du 11 mai 2007, JO du 12, art. 2). Le pourvoi n’ayant pas été formé spécifiquement sur cette question, on peut ainsi s’interroger sur le rôle dévolu préfet. Quoi qu’il en soit, il sera certainement opportun que le Conseil d’État précise la règle applicable.
Jérémy Chevalier