Suivez l’actualité juridique M’inscrire à la newsletter
27/07/2023
2 minutes
Juridique

Dissolution administrative : le cercle vicieux du radicalisme

Plus de deux mois après les premières annonces faites en ce sens, c’est finalement le 21 juin dernier que le gouvernement a dissous le mouvement des Soulèvements de la Terre (SLT) par décret en conseil des ministres.

Les conséquences de la loi Séparatisme

Sans surprise, cette décision est fondée sur un des nouveaux motifs de dissolution administrative insérés par la loi dite « Séparatisme » du 24 août 2021 (L. no 2021-1109, JO du 25, v. not. dossier « Principes républicains – Gar(d)e à vous ! », JA 2022, no 653, p. 15). Il est ainsi désormais prévu à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure que les associations et groupements de fait peuvent faire l’objet d’une dissolution administrative lorsqu’ils « provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

Pour pouvoir appliquer cet article, le décret consacre un premier considérant à qualifier les SLT de « groupement de fait ». En effet, les SLT ne sont pas déclarés en tant qu’association, mais préfèrent se définir comme un simple « mouvement horizontal ». Toutefois, ils peuvent juridiquement être considérés comme une association de fait, même si leurs avocats souhaitent apparemment contester cette qualification.

Les motifs invoqués

Le décret invoque ensuite une vingtaine d’actions, dont les manifestations ayant eu lieu à Sainte-Soline ainsi que les blessures subies par des membres des forces de l’ordre, pour démontrer que, « sous couvert de défendre la préservation de l’environnement et de se présenter comme un mouvement militant, ce groupement incite à la commission de sabotages et dégradations matérielles » et doit donc « être regardé comme provoquant à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

Les avocats du collectif ont annoncé vouloir saisir le Conseil d’État. Un recours en excès de pouvoir afin d’obtenir l’annulation de la décision de dissolution est en effet possible, l’absence de personnalité juridique du groupement n’y faisant pas obstacle (CE 4 avr. 1936, req. nos 52.834, 52.835 et 52.836, Lebon 455). Ce recours n’est pas suspensif, mais un sursis à exécution peut être accordé à condition de justifier d’une urgence et d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité du décret (CJA, art. L. 521-1).

Une décision aux vastes répercussions

Plus de 130 000 personnes ont signé une pétition pour rendre publique leur appartenance au mouvement et les actions prévues pour les mois à venir sont maintenues. Cela n’est pas sans risque car toute personne participant au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d’un groupement dissous encourt des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, outre des peines complémentaires comme l’interdiction de diriger ou administrer une association pendant une durée de trois ans (C. pén., art. 431-18).

Indépendamment de l’issue de cette bataille juridique, l’inquiétude se fait jour au sein du milieu associatif et, plus largement, de notre démocratie au vu de la multiplication du nombre de dissolutions administratives. Depuis 1936, date d’adoption des dispositions comprises aujourd’hui à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, 147 dissolutions ont été prononcées sur ce fondement. 15 d’entre elles, soit le dixième, sont intervenues depuis 2021.

Faut-il y voir une conséquence de la radicalité grandissante de notre société ou plutôt d’une dérive autoritaire ? Si le principe de liberté d’association ne doit pas être dévoyé pour justifier des violences et des troubles à l’ordre public, le strict encadrement du mécanisme de dissolution administrative est indispensable pour qu’il ne soit pas altéré en un délit d’opinion mal déguisé.

H. Durand

Sources