
Discrimination, QPC et action de groupe
La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite « J21 », a étendu le champ de l’action de groupe, jusque-là réservée aux litiges en matière de consommation, à plusieurs nouveaux domaines, parmi lesquels la discrimination, y compris dans les relations de travail (L. n° 2016-1547 du 18 nov. 2016, JO du 19, art. 60 et s.). Désormais, les organisations syndicales peuvent donc introduire devant le juge – précisément, le tribunal judiciaire – une action collective visant à faire cesser le manquement ou à obtenir réparation lorsque plusieurs personnes s’estiment être victimes de discrimination.
La CGT n’a pas tardé à se saisir de ce nouvel instrument puisque c’est elle – ou, plus précisément, sa fédération de la métallurgie – qui a décidé, par acte du 30 mars 2018, d’engager la première action du genre en assignant la société Safran Aircraft Engines pour discrimination syndicale. Cette action visait à obliger cette société à mettre en place certaines mesures permettant de mettre fin définitivement à la situation de discrimination syndicale alléguée à l’encontre des élus et mandatés CGT et d’obtenir des réparations pour tous les salariés titulaires ou ayant été titulaires d’un mandat CGT et qui auraient fait à ce titre l’objet de discriminations.
Rejet de la demande…
La demande a été rejetée par les juges du fond sur le fondement de l’article 92, II de la loi du 18 novembre 2016 (Paris, 14 mars 2024, RG n° 21/07005). Selon ce texte, les dispositions spécifiques à l’action de groupe sont applicables aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur au 19 novembre 2016. Ainsi, au regard de cette disposition, mais également en application du principe général de non-rétroactivité de la loi, les juges considèrent qu’il doit être considéré qu’il appartient au syndicat demandeur de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser la réalité de manquements de l’employeur postérieurs au 20 novembre 2016. Ils ajoutent qu’en l’absence de justification d’éléments de fait susceptibles de caractériser des manquements postérieurs au 20 novembre 2016, il ne peut être examiné la réalité d’un fait générateur ou d’un manquement qui s’est produit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi sur l’action de groupe. Cela mérite quelque explication : la période comprise entre la date d’entrée en vigueur de la loi et celle d’introduction de l’action de groupe le 30 mars 2018 – moins d’un an et demi – s’avérait objectivement trop courte pour conclure à l’existence d’une discrimination à l’encontre des élus GGT de Safran.
… mais transmission de la QPC
Le syndicat a alors intenté un pourvoi à l’occasion duquel il posa une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à la Cour de cassation, dans laquelle il contestait la conformité à la norme constitutionnelle des dispositions de l’article 92, II de la loi du 20 novembre 2016. Il considère que ces dispositions portent atteinte « au principe d’égalité des justiciables devant la loi en ce qu’elles excluent, par principe, les seules actions de groupe en matière de discrimination du bénéfice du principe selon lequel une loi de procédure est immédiatement applicable aux faits antérieurs à son entrée en vigueur », cela au contraire des actions de groupe en matière de santé publique, de données personnelles et de consommation. La Cour de cassation, après avoir rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle « les lois relatives à la procédure sont d’application immédiate » (Cass., ass. plén., 3 avr. 1962, n° 61-10.142 ; Soc. 14 nov. 1984, n° 81-13.144 ; 9 janv. 2013, n° 11-11.808 ; Civ. 2e, 8 juill. 2010, n° 09-68.715), y compris, faut-il ajouter, pour des faits antérieurs non encore définitivement jugés, accepte de transmettre au Conseil constitutionnel la question posée, la jugeant à la fois nouvelle et sérieuse.
Une décision attendue
Précisons, pour conclure, que la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale le 8 mars 2023 (art. 3, II), ne prévoit plus cette limitation dans le temps de l’action de groupe et prévoit de rendre possibles de telles actions pour des discriminations dont le fait générateur de la responsabilité du défendeur serait antérieur à la publication de la nouvelle loi. La Défenseure des droits avait salué cette mesure, considérant qu’elle contribuera à l’effectivité de l’action de groupe en matière de discrimination (avis n° 24-01, 18 janv. 2024, p. 1). Cependant, par un projet de loi du 31 octobre 2024, le gouvernement Barnier a décidé de renoncer à cette proposition de loi, préférant se limiter à une simple transposition de la directive européenne sur les actions représentatives (doc. AN, n° 529, 31 oct. 2024). C’est dire que la décision du Conseil constitutionnel est attendue.
Xavier Delpech