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Condamnation d’un État pour insuffisance d’action climatique

Statuant en grande chambre, c’est-à-dire dans sa formation la plus solennelle, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé, le 9 avril 2024, de façon inédite, que la Suisse, faute de mise en œuvre de mesures suffisantes pour lutter contre le changement climatique, a violé la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) (req. n° 53600/20).

La requête était présentée par quatre femmes âgées et une association de droit suisse représentant plus de 2 000 femmes âgées résidant en Suisse. La Cour a considéré que l’association peut revendiquer le statut de victime au sens de l’article 34 de la Conv. EDH. En revanche, la CEDH a jugé irrecevable le recours des plaignantes individuelles, considérant qu’elles ne remplissent pas les critères relatifs à la qualité de victime. Dans deux autres affaires similaires, concernant respectivement le Portugal (req. n° 39371/20), les requêtes de ressortissants résidant dans ces États ont été également jugées irrecevables.

Sur le fond

La Cour juge que les effets délétères du changement climatique « pèsent tout particulièrement sur diverses catégories vulnérables de la société qui ont besoin d’une attention et d’une protection spéciales de la part des autorités » (§ 410). Elle estime que l’article 8 de la Conv. EDH consacre un droit à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie (§ 519). Elle considère que la Suisse a manqué aux obligations que la Conv. EDH lui imposait relativement au changement climatique. En particulier, elle n’a pas atteint ses objectifs passés de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Sur l’intérêt à agir

La CEDH juge l’association requérante habilitée à agir en justice face aux menaces liées au changement climatique au sein de l’État défendeur, pour le compte de personnes pouvant faire valoir de manière défendable que leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie tels que protégés par la Convention se trouvent exposés à des menaces ou conséquences néfastes spécifiques liées au phénomène en question. La Cour précise également dans quelles conditions une association peut avoir intérêt à agir. Elle doit : « a) avoir été légalement constituée dans le pays concerné ou avoir la qualité pour agir dans ce pays, b) être en mesure de démontrer qu’elle poursuit un but statutaire correspondant au climat dans la défense des droits fondamentaux de ses adhérents ou d’autres individus, et c) être en mesure de démontrer qu’elle peut être considérée comme véritablement représentative et habilitée à agir pour le compte d’adhérents ou d’autres individus touchés dans le pays concerné dont la vie, la santé ou le bien-être, tels que protégés par la Convention, se trouvent exposés à des menaces ou conséquences néfastes spécifiques liées au changement climatique » (§ 502). En outre, ajoute la Cour, il n’est pas nécessaire d’établir le statut de victime pour les individus que l’association représente.

Par ailleurs, la Cour estime que l’article 6, paragraphe 1er de la Conv. EDH trouve à s’appliquer au grief de l’association requérante qui concerne la mise en œuvre effective des mesures d’atténuation prévues par le droit interne en vigueur. Elle constate, à cet égard, que les juridictions suisses n’ont pas expliqué de façon convaincante pourquoi elles ont estimé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le bien-fondé des griefs de l’association requérante. Lesdites juridictions n’ont pas tenu compte des données scientifiques incontestables concernant le changement climatique et n’ont pas pris au sérieux les griefs formulés. Plus largement, la Cour considère que le droit d’accès de l’association requérante à un tribunal a été restreint d’une manière et à un point tels qu’il s’en est trouvé atteint dans sa substance même (§ 623).

Xavier Delpech