L’objet social plus fort que l’agrément ?
Sommaire
Une association ayant pour objet social la défense des intérêts des consommateurs en tant que maître d’ouvrage en matière de construction de maisons individuelles a été agréée, par un arrêté du 6 janvier 2006, pour exercer l’action civile dans l’intérêt collectif des consommateurs – prévue par les articles L. 621-1 et suivants du code de la consommation.
Du tribunal de grande instance…
Fin 2016 et début 2017, en invoquant l’existence de pratiques illicites, l’association assigne devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris trois sociétés ainsi que l’un de leurs assureurs afin d’obtenir la cessation de ces pratiques, des dommages-intérêts en réparation du préjudice collectif des consommateurs et la publication de la décision à venir – sur le fondement des articles L. 621-1, L. 621-2 et L. 621-7 du code de la consommation. Le TGI déclare son action irrecevable faute de qualité pour agir, un arrêté préfectoral du 24 avril 2018 ayant retiré à l’association son agrément.
… en passant par la cour d’appel…
L’association fait appel de ce jugement en indiquant agir à titre subsidiaire « sur le fondement du droit commun pour la défense de l’intérêt collectif entrant dans son objet social ». Elle estime également que le droit d’agir en justice s’apprécie à la date de la demande introductive d’instance et ne peut être remis en cause par l’effet de circonstances postérieures – en référence au retrait de son agrément.
Mais ses arguments sont rejetés par la cour d’appel de Paris. Celle-ci déclare irrecevables les demandes de l’association, faute pour cette dernière de qualité à agir due à l’absence d’agrément. Pour la cour d’appel, le retrait d’agrément intervenu le 24 avril 2018 a un « effet rétroactif à compter du 8 décembre 2015 ». En outre, elle estime l’association irrecevable en son action sur le fondement du droit commun pour défaut d’intérêt à agir relativement à la restriction géographique de ses statuts : la cour d’appel interprète le silence des statuts quant au champ d’action géographique de l’association comme une limite d’action territoriale à son département. Elle juge aussi que les prétentions formulées par l’association sur le fondement du droit commun en appel sont nouvelles et donc irrecevables. L’association conteste cet arrêt en se pourvoyant en cassation.
… jusqu’à la Cour de cassation
La Cour de cassation apporte différents éclairages. Tout d’abord, elle approuve l’arrêt de la cour d’appel en considérant que l’association n’était pas recevable à agir sur le fondement des articles L. 621-1, L. 621-2 et L. 621-7 du code de la consommation car ne justifiant ni de l’existence d’une infraction, ni de la méconnaissance d’une disposition issue de la transposition du droit de l’Union européenne.
En revanche, la Cour de cassation juge que la cour d’appel a violé les articles 563, 564 et 565 du code de procédure civile en déclarant les demandes de l’association irrecevables car fondées sur des moyens nouveaux. L’association, « qui agissait, en première instance comme en appel, pour la défense des intérêts collectifs définis par ses statuts, n’avait pas modifié, devant la cour d’appel, ses demandes en cessation d’actes illicites, en indemnisation et en publication de la décision, et s’était bornée à invoquer un moyen nouveau au soutien de ses prétentions ».
Enfin, sur l’intérêt à agir, la Cour de cassation déclare « qu’une association, même hors habilitation législative, et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social. Lorsqu’aucune stipulation des statuts ne prévoit une restriction du champ d’action géographique de l’association, l’action formée par elle peut être introduite devant toute juridiction territorialement compétente ». La cour d’appel, en retenant que le silence des statuts ne peut s’interpréter comme permettant à l’association d’agir sur un territoire illimité, a donc violé l’article 31 du code de procédure civile. Ainsi, devant les juridictions civiles, même en l’absence d’agrément, une association peut agir en défense d’un intérêt collectif entrant dans son objet social.
L’affaire est donc renvoyée sur les deux derniers points devant la cour d’appel de Paris autrement composée.