Action de groupe et règles d’application de la loi dans le temps
L’affaire défraye la chronique depuis plusieurs années déjà. Elle concerne l’action de groupe « discrimination », dans son volet relations de travail, instituée par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite « J21 » (L. n° 2016-1547 du 18 nov. 2016, JO du 19, art. 60 et s.). Désormais, les organisations syndicales peuvent donc introduire devant le tribunal judiciaire une action collective visant à faire cesser le manquement ou à obtenir réparation lorsque plusieurs personnes s’estiment être victimes de discrimination.
Le syndicat CGT a, en vertu de ce nouveau dispositif, introduit la première action du genre en assignant la société Safran Aircraft Engines pour discrimination syndicale. Mais sa demande avait été rejetée par la cour d’appel de Paris sur le fondement de l’article 92, II, de cette loi, selon lequel les dispositions spécifiques à l’action de groupe sont applicables aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, soit le 20 novembre 2016. Or, selon la cour, le syndicat n’a pas justifié les éléments de fait susceptibles de caractériser la réalité de manquements de l’employeur postérieurs à cette date (Paris, 14 mars 2024, RG n° 21/07005).
La CGT a alors contesté la conformité à la Constitution de cet article devant la Cour de cassation (Soc., QPC, 4 déc. 2024, n° 24-15.269). Mais le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la norme constitutionnelle la disposition contestée – précisément les principes d’égalité devant la loi et devant la justice (Cons. const. 6 févr. 2025, décis. n° 2024-1123 QPC).
On aurait dès lors pu s’attendre à ce que la chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi du syndicat. Il n’en a rien été. Procédant à une interprétation que l’on pourrait qualifier de dynamique des règles d’application de la loi dans le temps, elle casse partiellement l’arrêt d’appel. Elle juge, en effet, qu’une discrimination collective, par nature continue, peut être appréciée au regard de faits antérieurs dès lors que leurs effets persistent après le 19 novembre 2016.
Si l’affaire portait sur une discrimination syndicale, la solution posée est susceptible de s’appliquer à toute discrimination collective continue, qu’elle qu’en soit la cause. L’arrêt commenté renforce assurément l’effectivité de l’action de groupe en matière sociale et contribue à mieux protéger les salariés victimes de discriminations collectives.
Xavier Delpech