ESS : une stratégie à construire, des soutiens publics à (re)conduire
« Malgré une présence dans tous les territoires et un rayonnement international de la définition française de l’économie sociale et solidaire (ESS), celle-ci souffre d’un déficit de visibilité et de notoriété au plan national ». Les objectifs de la loi dite « ESS » de 2014 (L. n° 2014-856 du 31 juil. 2014, JO du 1er août) ne sont donc que partiellement remplis, 10 ans après sa promulgation.
Si la reconnaissance de sa portée juridique et de son périmètre sémantique s’est propagée au-delà des frontières françaises, elle n’a pas provoqué le changement d’échelle espéré en France. Peut-on trouver une explication à cet état de fait dans la teneur des soutiens étatiques apportés à l’ESS ?
La Cour des comptes tente de répondre à cette question dans un nouveau rapport, suite à une demande formulée sur sa plateforme citoyenne. Cette publication tombe à point nommé, en amont du Forum mondial de l’ESS qui se tiendra pour la première fois en France à Bordeaux, et alors que les pouvoirs publics doivent remettre à la Commission européenne leur stratégie de développement de l’ESS d’ici à la fin de l’année.
Des soutiens financiers ciblés
Les aides publiques versées aux acteurs de l’ESS atteignent des montants significatifs : « ces soutiens, y compris dépenses fiscales et aides aux postes et contrats aidés, s’élèvent à 16 milliards d’euros pour l’État en 2024 et à près de 6,7 milliards d’euros pour les collectivités territoriales en 2023 ». La Cour des comptes estime que ces financements ont augmenté de 4,7 % entre 2018 et 2024, malgré le coup d’arrêt porté aux contrats aidés (en baisse de 80 %).
Ces aides sont principalement versées sous la forme de subventions et financent à 98 % des structures employeuses. Ainsi, seulement 4 % des structures de l’ESS touchent des financements publics. De plus, le rapport relève que 80 % des subventions sont « des dépenses pour garantir des droits ou assurer des services dans le prolongement de l’action de l’État : l’hébergement d’urgence (18 % des subventions en 2024), le soutien à l’enseignement privé et à l’éducation (15 %), l’accompagnement social et l’aide alimentaire (13 %), l’accueil et l’orientation des réfugiés et des demandeurs d’asile (12 %) ».
Un manque de vision d’ensemble
Si les crédits dédiés spécifiquement au développement de l’ESS sont en hausse de 10 % depuis 2018, le rapport souligne un manque de stratégie d’ensemble et un pilotage au périmètre trop restreint.
Sont également relevés un financement de l’innovation sociale qui reste marginal, une doctrine de financement de Bpifrance qui exclut de fait certains acteurs de l’ESS en refusant de comptabiliser les titres participatifs comme des fonds propres, ou encore des difficultés d’accès aux financements privés.
La Cour des comptes recommande ainsi un positionnement interministériel de la politique de l’ESS pour stabiliser son pilotage et renforcer la coordination entre les différents services et échelons administratifs. Elle incite également à rendre plus visible le poids économique de l’ESS et à lever les freins qui minimisent son accès aux financements privés et à certains financements publics.
Quid de la commande publique ?
L’analyse de la Cour des comptes ne prend pas en considération l’accès de l’ESS aux marchés publics. Toutefois, un député a récemment indiqué que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de certaines structures de l’ESS pouvait fausser l’analyse du facteur prix si l’acheteur public considérait le montant hors taxes.
Le gouvernement a répondu que les recommandations pour l’analyse des prix devaient « prendre en compte la somme qui sera réellement exposée par l’acheteur », et que seule « la méconnaissance de ces règles est de nature à faire obstacle à l’effectivité des régimes dérogatoires prévus au bénéfice du secteur associatif non-lucratif et de l’économie sociale et solidaire ».
Thomas Giraud